Afrique de l’Ouest : sécurité en eaux troubles

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Pour beaucoup, l’expression piraterie maritime évoque l’image d’un marin borgne buvant du rhum et fredonnant des chansons obscènes. Pour les plus jeunes, elle renvoie au personnage de Jack Sparrow interprété à l’écran par Johnny Depp, dans Pirates des Caraïbes. Mais la piraterie maritime n’a pas le romantisme d’un film d’action. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer estime qu’elle est un « acte illicite de violence ou de détention commis en haute mer contre des navires ou des aéronefs. C’est surtout un problème et une menace pour la sécurité des navires, leurs équipages et pour les économies des pays affectés.


Alors que le phénomène semble décliner au large de la Somalie, il s’aggrave en Afrique de l’ouest. Selon l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), les attaques se concentrent dans le delta du Niger, au large du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, de la Guinée et du Togo.


Selon l’agence de presse Reuters, « ette année, la piraterie au large des côtes nigérianes a augmenté d’un tiers contre les navires traversant le Golfe de Guinée, important point de passage des produits de base ». Contrairement aux pirates somaliens, qui réclament généralement une rançon, ceux d’Afrique de l’Ouest volent également des biens, le pétrole notamment. Plusieurs attaques se sont soldées par la mort de membres d’équipage. Pis encore, ces attaques nuisent à l’économie. Pour nombre de pays affectés l’impact de ces actes sur la hausse des primes d’assurance et autres coûts liés au commerce est préoccupant.


Selon les chiffres de l’ONUDC publiés en mars 2013, au Bénin par exemple, les taxes sur les échanges commerciaux constituent la moitié des recettes de l’État, dont 80 % proviennent du port de Cotonou. L’an dernier, l’augmentation de la piraterie en Afrique de l’Ouest a conduit la Lloyd’s Market Association, un groupe d’assureurs maritimes basé à Londres, à placer le Bénin et le Nigeria notamment dans la même catégorie que la Somalie, affirme Claims Journal, une revue des professionnels de l’assurance. Cette reclassification a entrainé une baisse du transport maritime dans la région et causé la perte de 28 % des recettes de l’État béninois. Elle a aussi affecté les citoyens ordinaires par le biais de l’augmentation du coût des importations et la baisse de la compétitivité des produits exportés.


Pour se protéger des pirates, au large de la Somalie, des gardes armés accompagnent désormais les navires de passage, rapporte Reuters. En Afrique de l’Ouest au contraire, les navires doivent jeter l’ancre, devenant ainsi des cibles faciles pour les criminels. Ceci entraîne fatalement une hausse des frais d’assurance.


La corruption, un moteur


Selon le Dr Christian Bueger, chercheur à l’Université de Cardiff et rédacteur en chef d’un portail en ligne spécialisé sur ces questions (www.piracy-studies.org), la corruption, le laxisme dans l’application des lois et la pauvreté sont souvent les principales causes de la piraterie. Dans un entretien avec Afrique Renouveau, le Dr Bueger soutient que « la piraterie semble être organisée ou soutenue par des communautés marginalisées qui ne participent pas au développement économique. »


Au Nigeria, où ont eu lieu la plupart des actes récents de piraterie sur le continent, la corruption dans le secteur pétrolier a aggravé le problème. La Chatham House, un groupe de recherche britannique, estimait en septembre 2013 que « la corruption et la fraude sont monnaie courante dans le secteur pétrolier du pays » et « qu’il est difficile de distinguer l’approvisionnement légal ou illégal du pétrole au Nigéria ». Dans un tel contexte, pour les pirates, la garantie d’écouler le pétrole volé est une motivation supplémentaire.


Martin Murphy, professeur à l’Université de Georgetown aux États-Unis et chercheur au Atlantic Council of the United States, estime que « le ravitaillement illégal est très rentable au Nigeria ». Il ajoute que « l’ampleur des pertes est stupéfiante », l’estimant à plus de 100 milliards de dollars depuis 1960.


Les dégâts causés par les voleurs ont forcé les compagnies pétrolières à fermer les oléoducs. En octobre 2013, la compagnie Shell a vendu quatre de ses blocs pétroliers nigérians suite au détournement régulier de grandes quantités de pétrole de ses pipelines, entraînant une baisse drastique de la production qui est passé à environ 400 000 barils par jour, bien loin des 2,5 millions de barils par jour dont le pays est potentiellement capable. Selon le New York Times Nuhu Ridabu, ancien haut responsable anti-corruption du Nigeria, avait révélé en 2012 dans un rapport qu’au cours de la décennie précédente, 6% à 30 % de la production pétrolière du pays avait été subtilisée.


Combattre la piraterie


Pour le Dr Bueger, quatre mesures s’imposent pour lutter contre la piraterie. Premièrement, les États concernés doivent partager des informations sur ce qui se passe au large de leurs côtes. Deuxièmement, des activités de formation conjointes sont nécessaires pour permettre aux pays d’élaborer des procédures et maîtriser la technologie. Cette formation servirait à préparer les générations futures de professionnels de la sécurité maritime. Elle permettra aussi d’instaurer un climat de confiance entre les différents organismes. Troisièmement, les États affectés par la piraterie maritime devraient élaborer une législation forte pour poursuivre les criminels. Enfin, les États devraient se doter de budgets conséquents pour renforcer leurs capacités.


Le Dr Bueger explique « qu’un État peut disposer d’informations, avoir des gardes-côtes bien formés, et même appliquer toutes les lois appropriées, il n’en demeure pas moins impuissant sans navire ». Parmi les États les plus affectés par la piraterie, seuls l’Afrique du Sud et le Nigeria possèdent une marine professionnelle. Les autres pays possèdent en général de petits gardes-côtes désuets avec trois à cinq petites embarcations.


Lutte et acquis


Plusieurs instruments juridiques internationaux existent pour lutter contre la piraterie. Le principal accord est la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qui établit des zones économiques exclusives sur lesquelles chaque État dispose de droits d’exploitation, de production d’énergie hydraulique et éolienne et d’utilisation des ressources marines. Pour que cet accord soit opérationnel, les États doivent l’adopter et l’intégrer à leur législation nationale. Tous les pays d’Afrique de l’Ouest ont signé et ratifié la Convention sur le droit de la mer.


Toutefois, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas encore lancé d’appel en faveur d’une action internationale concertée contre la piraterie le long du Golfe de Guinée, contrairement à la Somalie où, en juin 2008, il avait autorisé d’autres pays à pénétrer dans les eaux territoriales somaliennes pour arrêter les pirates. En 2011, le Conseil a adopté deux résolutions exprimant sa préoccupation au sujet de la piraterie dans le Golfe de Guinée et exhortant les États à renforcer la législation nationale, élaborer un cadre régional global de lutte contre la piraterie, élaborer des orientations appropriées à la navigation et coopérer dans la poursuite des pirates et de leurs commanditaires.


Il existe en Afrique de l’Ouest une infrastructure institutionnelle de lutte contre la piraterie. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dans son traité de 1993, dispose d’une composante maritime visant à harmoniser toutes les questions maritimes dans la région, l’Organisation Maritime de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, créée dans les années 1970, lie les pays membres à un accord similaire. L’année dernière, la CEDEAO, la Commission du Golfe de Guinée et la Communauté économique des États de l’Afrique Centrale ont signé un protocole d’accord entre l’Organisation maritime internationale et l’Organisation maritime d’Afrique de l’Ouest et du Centre, afin d’établir un réseau sous-régional intégré de surveillance des côtes en Afrique de l’Ouest et du Centre, entre autres.


En dépit de ces actions régionales la piraterie est en hausse. Le Bureau maritime international soutient que, même si les tentatives et actes de piraterie dans le Golfe de Guinée sont passés de 54 en 2008 à 37 en 2010, on a observé depuis une aggravation constante : 49 actes en 2011 et 58 actes en 2012. En Août 2013, le Nigéria à lui seul enregistrait 28 attaques. Ces chiffres pourraient être trompeurs car de nombreux incidents ne sont pas signalés.


Mais la piraterie n’est pas la seule menace sécuritaire en mer. « La piraterie a exposé des problèmes plus graves liés à l’insécurité maritime », souligne le Dr Bueger, tels que le trafic d’êtres humains, d’armes et de stupéfiants et la pêche non réglementée et illégale. Ainsi, dit-il, l’attention actuellement accordée à la lutte contre la piraterie pourrait être utilisée par la communauté internationale comme tremplin pour créer des institutions durables chargées de la sécurité maritime.


Même si les institutions internationales jouent un rôle crucial dans les efforts de lutte contre la piraterie, il faut un engagement à long terme. L’Union Africaine a déjà déclaré que son objectif est de mettre en place une stratégie africaine de sécurité maritime d’ici 2050. Cette stratégie a notamment pour objectif d’assurer la sécurité et la sûreté des systèmes de transport maritime, d’empêcher tout acte malveillant et criminel en mer, et de coordonner et d’harmoniser les poursuites pénales.


En attendant la mise en œuvre de cette stratégie à long terme, une action concertée s’impose afin d’éliminer la piraterie en Afrique de l’Ouest avant qu’elle ne se propage à d’autres zones du continent.

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Publié dans Ports Africains

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